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The Last Guardian : la sublime échappée (critique)



Si l’arlésienne FF XV a énormément fait parler d’elle, il est un autre jeu japonais dont le développement a connu une longue gestation : The Last Guardian est sorti en décembre 2016 dans le monde entier après presque 10 ans de travail ! Le dernier jeu du réalisateur Fumito Ueda, le culte Shadow of the Colossus, remontait à 2005. Pourtant, fait remarquable, Sony a décidé de maintenir sa confiance envers le talentueux Ueda, qui a ainsi finalement pu terminer son troisième jeu, initialement prévu sur PS3. Mais comme l’a montré FF XV (ou Duke Nukem Forever), un très long développement laisse en général des traces indélébiles. The Last Guardian échappe-t-il à cette loi immuable ?


Mon voisin Trico


L’idée originale de The Last Guardian provient de réactions de certains fans au précédent jeu d’Ueda, Shadow of the Colossus : alors que le réalisateur japonais avait voulu créer un lien fort entre le héros Wanda et sa bien-aimée Mono, c’est finalement la relation entre Wanda et son destrier (baptisé Agro par les fans) qui a le plus ému les joueurs. Ueda en est donc venu à l’idée de bâtir un jeu entièrement axé autour de cette relation entre deux êtres différents ne pouvant pas communiquer par la parole – un leitmotiv qui renvoie à Ico, son premier jeu.

Concrètement, le joueur incarne un petit garçon qui se réveille dans une cave après avoir été, semble-t-il, kidnappé. Mais l’enfant n’est pas seul : une énorme bête, le flanc meurtri par des lances et enchaînée, s’agite et tente de se libérer désespérément. Il s’agit d’un Trico, une bête réputée mangeuse d’hommes. Malgré cela, le garçon tente d’aider la bête du mieux qu’il peut et finit par gagner sa confiance en lui donnant à manger. C’est lorsque l’enfant monte sur le dos de la bête pour la première fois que l’aventure commence : les deux comparses vont tenter de s’échapper de ce qui ressemble à une immense forteresse perchée au bord d’un gouffre.



Pendant l’intégralité du jeu, le joueur devra utiliser les capacités bien distinctes des deux personnages pour progresser : l’enfant se charge de se faufiler dans les passages étroits et d’activer les leviers permettant d’ouvrir de nouvelles portes, alors que Trico peut réaliser des bonds de géant pour franchir d’immenses gouffres, se battre férocement ou encore se servir de sa queue comme d’une corde pour aider l’enfant à monter ou descendre. Tout le level design remarquable de The Last Guardian est bâti autour de cette complémentarité : résoudre les différentes énigmes et puzzles requerra un bon sens de l’observation et un minimum de réflexion pour permettre aux deux personnages de progresser. Comme souvent dans ce genre de jeux, la difficulté est amenée à varier et il faudra parfois de longues minutes avant de saisir la démarche à suivre. Cependant celles-ci ne sont pas génératrices de frustration, et on ne se retrouve que très rarement à tourner en rond.


Un gameplay rigide


Le principal vecteur de difficulté ne vient pas tant des puzzles en eux-mêmes que du gameplay, très proche en termes de sensations et de commandes d’Ico, sorti il y a 15 ans de cela ! Le garçon reste particulièrement raide dans sa maniabilité, avec une physique particulière qui nécessitera un petit temps d’adaptation. Ces raideurs se font particulièrement sentir dans les moments où le joueur se retrouve sous pression et obligé d’effectuer diverses actions dans un délai bref, et pourront entraîner des retours au dernier checkpoint un peu frustrants. On songe enfin à la caméra, qui de toute évidence n’apprécie guère la compagnie des angles et des murs, une hostilité que l’on pensait reléguée à la génération PS2.


Quand vient le moment de combattre face à de mystérieuses armures animées qui cherchent à le kidnapper, l’enfant devra entièrement s’en remettre à Trico, qui s’en débarrassera aisément. Il joue malgré tout un rôle essentiel en détruisant des espèces d’yeux en verre qui semblent effrayer la créature, et qu’il faudra briser pour que celle-ci puisse continuer à avancer.



La vulnérabilité du joueur est donc double : le personnage est délibérément faible (il ne peut infliger aucun dégât aux armures adverses, bien loin du Wanda de Shadow of the Colossus qui terrassait des titans à lui tout seul) et le gameplay d’une rigidité peu commune au vu des standards actuels. Et ce qui semblerait être un défaut du jeu va finalement venir souligner son plus grand mérite.


The Boy and the Beast


En effet, les errances de gameplay vont d’autant plus inciter les joueurs à reporter leurs espoirs sur Trico, qui viendra souvent les tirer d’affaire, que ce soit lors d’une séquence épique où le sol s’effondre ou tout simplement lors d’un combat. Le choix de Fumito Ueda de créer un sidekick aussi important et non jouable est clairement un choix iconoclaste à l’époque du héros-magicien-épéiste-cuisinier-détective à la Geralt de Riv. Là où l’on cherche à donner le plus possible le contrôle au joueur, Ueda choisit de l’entraîner dans une relation de dépendance vis-à-vis d’une créature qu’il ne contrôle pas, dont il se voit réduit à guetter les réactions en espérant « qu’il va faire ce que je lui ai demandé de faire ».


Ce choix audacieux hisse très rapidement Trico au panthéon des meilleurs personnages non jouables jamais créés. Car plus qu’un amas de pixels qui va vous aider dans votre quête, Trico est une véritable présence vivante aux côtés du joueur : celui-ci ressentira d’autant plus vivement son absence lors des quelques puzzles qui le font s’éloigner de l’attachante créature. On la caresse pour la calmer après un combat, on peste contre elle quand elle n’en fait qu’à sa tête, on s’émeut quand elle expose son flanc blessé, on retient son souffle quand elle bondit sur des tours ou corniches qui n’ont l’air guère solides. L’un des plus beaux moments du jeu (et l’un de mes plus beaux moments de jeu pour ma part) reste celui où l’on s’accroche au poitrail de la bête et que l’on sent, grâce aux vibrations de la manette, le cœur de Trico battre. Ceux qui possèdent un animal de compagnie retrouveront dans The Last Guardian ces instants si particuliers de complicité entre l’homme et la bête, entre soi et l’autre.



Cette complicité est renforcée par le formidable travail réalisé par les développeurs en charge de l’animation de Trico : là aussi la bête peut aisément se classer parmi les êtres vivants les mieux animés du jeu vidéo. Qu’il s’agisse de flairer avec appétit sa nourriture, d’attraper le garçon dans sa gueule ou encore de reculer en grondant face à un œil en verre, le travail abattu force le respect. Le travail sur le sound design n’est pas en reste avec un Trico qui ronronne, rugit et couine avec un réalisme saisissant encore une fois.


Le Château dans le Ciel


Impossible de parler d’un titre de Fumito Ueda sans évoquer les graphismes du jeu. Non pas parce que le titre est plus beau qu’Uncharted 4, mais parce que les deux précédents jeux d’Ueda ont fasciné la presse et le public par leur patte artistique faisant tour à tour penser à Turner, Chirico, ou encore Miyazaki. Il faut rappeler qu’Ueda a initialement effectué des études d’art, ce qui explique le caractère atypique (et la relative rigidité du gameplay) de ses jeux.


Avec The Last Guardian, Ueda fait du Ueda : on retrouve des motifs qui lui sont chers avec un gigantesque château perdu dans les brumes, empreint de mélancolie. Bien qu’incohérent d’un point du vue purement architectural, l’agencement des lieux parvient à dégager une atmosphère pleine de poésie. Après les immensités vides de Shadow of the Colossus, Ueda renoue avec une ambiance plus « fermée », avec bon nombre de salles et souterrains par lesquelles il faudra se faufiler et ouvrir le passage pour un Trico parfois trop grand ! Si certains regretteront peut-être la liberté de mouvement qu’offrait le précédent jeu du réalisateur japonais, il faut souligner que ce choix d’une plus grande linéarité lui donne une meilleure maîtrise sur ce que le joueur verra, permettant de ménager quelques scènes d’une grande poésie, comme lorsque le joueur débouche des souterrains dans un jardin verdoyant, ou encore parvient dans une cave illuminée par quelques rais de lumière.



Enfin du point de vue de la puissance graphique brute, The Last Guardian s’en sort très bien dans l’ensemble : les décors sont détaillés, très peu aliasés, et des effets particuliers comme le plumage de Trico ou les mouvements de la végétation sont très bien réussis. Il faut toutefois signaler que le jeu (testé sur PS4 normale) peut ramer dans certaines situations, en particulier lorsque Trico fait des mouvements brusques ou que la caméra bouge trop rapidement.


Musique : Le retour à Ico


Après un Shadow of the Colossus faisant la part belle aux morceaux musicaux épiques et pouvant durer plusieurs minutes, The Last Guardian adopte une stratégie opposée, et similaire à celle d’Ico. Vous parcourrez l’essentiel du jeu dans le silence, mais un silence non oppressant car ponctué de bruitages réussis, qu’il s’agisse du bruissement du vent dans la végétation ou les multiples grondements de notre compagnon à quatre pattes. Seuls les combats auront systématiquement le droit à un accompagnement musical.


Ce choix, s’il laissera certains fans d’OSTs sur leur faim (les morceaux sont logiquement moins nombreux et plus courts), présente une certaine cohérence avec le projet d’Ueda, puisque un accompagnement permanent aurait fini par distraire l’attention du joueur. Les moments de bravoure (où la pression sur le joueur se fait le plus sentir) donnent lieu aux rares envolées musicales faisant penser à Shadow of the Colossus. Si ces morceaux « contextuels » sont dans l’ensemble très réussis en jeu, ceux-ci se prêteront sans doute moins au jeu de l’écoute que l’OST du précédent jeu d’Ueda.


The Last Guardian réussit donc le bel exploit de fournir un jeu complet, cohérent et réussi après un développement aussi long, marqué par un changement de plateforme (de la PS3 à la PS4). Fumito Ueda continue donc de tracer, seul, son sillon dans un monde vidéoludique dont les soubresauts, polémiques et modes éphémères ne semblent pas l’affecter le moins du monde. The Last Guardian vient nous rappeler qu’un jeu est le fruit d’une vision, et chose rare, Fumito Ueda en propose une qui est à la fois cohérente, riche et unique. Il est probablement le premier à savoir que ses jeux ne manquent pas de défauts, au niveau du gameplay notamment. Mais l’enjeu de The Last Guardian se situe à un tout autre niveau : plutôt que de faire du jeu vidéo une simple matière malléable laissée dans les mains du joueur, une véritable relation se crée entre les deux, riche et teintée de réciprocité, faisant penser au « chiasme » évoqué par Merleau-Ponty dans sa théorie de la perception. Plus qu’un jeu, The Last Guardian est une expérience de vie à faire.


Les +

  • Trico

  • Trico

  • Trico

  • Did I mention Trico ?

  • Une DA cohérente et réussie

  • Un jeu qui crée un véritable lien avec le joueur

  • La forteresse, très beau lieu de jeu vidéo

  • Des puzzles à la difficulté bien équilibrée...

  • Un OST parfaitement adapté au jeu...

Les -

  • ... Malgré des pics de difficulté

  • ... Mais sans doute moins mémorable que celui de SotC

  • Le jeu peut ramer sur PS4 « old »


8/10

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