top of page

Google peut-il encore sauver Stadia ?


S’acheter un nouveau jeu, c’était mieux avant. C’était mieux quand il ne fallait pas attendre anxieusement l’installation des 60 Gigas de contenu sur notre compte avant de pouvoir ne serait-ce que lancer le jeu. Et aujourd’hui, avec Steam, l’explosion et la diversification du marché du jeu vidéo, il est en outre si difficile de faire un choix. Si seulement il existait un autre moyen de jouer, si seulement il existait une plateforme plus flexible et moins traditionnelle, et qui comprenait les besoins des gamers !


Ouvrez grand les écoutilles, car cela existe déjà ! Pour répondre à ce besoin et pour se placer stratégiquement sur le terreau si fertile de la plus grande industrie du divertissement, Google a récemment mis sur le marché Google Stadia. Le dévoilement du service en mai 2019 a suscité un entrain exceptionnel : pour beaucoup, c’était même le futur du jeu vidéo. Google Stadia permettrait à n’importe quel abonné de streamer des jeux depuis n’importe quel hardware permettant de se connecter à Chrome. Cela a conduit beaucoup de médias mainstream à surnommer l’application « le Netflix du jeu vidéo », à tort (nous verrons pourquoi). La promesse fait rêver : jouer à des jeux gourmands ou triple A, en 4k, partout, sans lag, à condition d’avoir une connexion Internet suffisamment bonne, c’est semble-t-il l’annonce d’une véritable révolution pour les joueurs.


Mais Google n’est, bien sûr, pas seul. En proposant encore une fois un projet démesurément ambitieux et innovant, c’est contre presque tous les pans du marché que le géant se met en concurrence. Car le streaming de jeux vidéo existe déjà, et gagne tous les jours de nouveaux utilisateurs. Chez Microsoft et Sony, on a des services plutôt efficaces, le Xbox Game Pass et PS Now, qui proposent les succès de leurs consoles respectives en streaming illimité pour le même prix. Mais il y a aussi des services standalone qui gagnent en influence, comme Nvidia Geforce Now, qui propose plus de 400 jeux avec assez peu de problèmes techniques, Jump, qui se focalise sur les jeux indépendants, et d’autres ovnis comme Shadow, qui est en fait une machine virtuelle.



Mais non seulement Stadia est en concurrence avec les autres dispositifs de streaming, mais aussi avec le marché substitut (c’est-à-dire le marché des produits pouvant remplacer le produit du marché principal) : pour se démarquer, Stadia doit convaincre les joueurs qu’ils ont une bonne raison de passer du jeu sur console au streaming, et même, plus difficile encore, du jeu sur PC au streaming. Qu’est-ce qui pourrait pousser une communauté à investir dans une plateforme qui offre moins de jeux et pour plus cher ?


Car oui, avoir la chance de jouer sur la plateforme la plus innovante, la plus puissante, la plus commode du monde, ce n’est pas à la portée de tout le monde. A l’apport mensuel de 9,99€ annoncé par Google en mai, s’ajoute le prix des jeux, qu’il faut aussi acheter sur la plateforme, et souvent à un prix très peu attractif ! Pour beaucoup, Stadia devait fonctionner comme Netflix : on aurait accès, en l’échange de l’abonnement, à une bibliothèque de jeux en libre accès. Le fait que le joueur doive en plus de cela, payer 70€ pour jouer à un jeu triple A (exception faite de quelques rares jeux gratuits sur Stadia, comme Destiny 2) a bel et bien été dissimulé par Google lors de leur présentation, volontairement ou non. A cause de cette ambiguïté, ou de cette obreption, beaucoup de joueurs ont reçu cette mauvaise surprise comme un manque d’honnêteté de Google.



Mais les problèmes ne s’arrêtent pas là. Le 19 Novembre, jour de lancement officiel de Stadia, a été un véritable cauchemar pour les utilisateurs, et la hype est retombée comme un soufflé. Tous les problèmes qui peuvent arriver à un Launch Day sont arrivés, semble-t-il. Premièrement, et c’est décevant de la part d’une entreprise de l’envergure de Google, beaucoup de précommandes ne sont pas arrivées le jour du lancement. Pire, certains l’ont reçu plus d’une semaine après le Launch Day. On aurait pu s’attendre à ce que les capacités logistiques de Google arrivent à satisfaire une des seules exigences des précommandes, à savoir, arriver le premier jour ! Mais non. Les fans étaient déjà mécontents, certains ne recevant pas leurs codes d’activation, d’autres attendant anxieusement leurs colis dans la boîte aux lettres. Ce Launch Day a peut-être tué Stadia dans l’œuf.


Comme si cela ne suffisait pas, on peut difficilement dire que Google a complètement tenu ses promesses. Beaucoup de problèmes s’ajoutent au fiasco du Launch Day. Le premier problème tient du fait que les performances du streaming sur Stadia dépendent quasi-intégralement de la connexion que le joueur est susceptible d’avoir… Mais pas seulement ! Un client connecté à la fibre peut avoir de mauvais résultats à cause d’autres facteurs sur lesquels il ne peut pas agir (sa distance aux centres de données de Google, l’état de son réseau et son encombrement…). Ainsi, certains joueurs avec une très bonne connexion chez eux se retrouvent frustrés, sans parler de ceux pour qui en ont une un peu moins bonne. Les conséquences sont parfois assez désastreuses : mauvaise qualité du streaming, baisses de FPS, et, surtout, de l’input lag. L’input lag, c’est l’ennemi numéro un des plateformes de streaming de jeux vidéo. Il s’agit de la réactivité du service aux actions du joueur, l’écart entre le moment où il presse un bouton et le moment où le jeu le prend en compte. Avoir de l’input lag rend impossible de jouer à des jeux très dynamiques comme Doom ou Destiny 2, et reste frustrant pour tout autre type de jeu.


Et la pile de problèmes ne semble pas arrêter de s’amonceler : la bibliothèque de jeux disponibles sur la plateforme s’est révélée être très restreinte, et ne s’agrandit pas assez souvent. Il est en effet difficile de convaincre les studios de porter leurs jeux sur Stadia, pour ce que ça leur demande du travail, travail qui ne semble pas en valoir la peine, au vu des ventes de Stadia après sa sortie. Les fans se sont naturellement révoltés. Dans un post Reddit devenu viral, la clameur monte : au 69e jour, il n’y avait pas eu d’ajouts ni d’updates depuis 40 jours, et il n’y avait aucune trace des plus de 120 jeux promis par Google. Le sentiment d’être beta-testeurs d’un produit non fini se fait naturellement de plus en plus fort chez les utilisateurs.


La question qui se pose alors en ce début d’année 2020 est la suivante : que peut faire Stadia à ce stade ? Finira-t-il au grenier, aux côtés de tant de projets Google abandonnés si rapidement, comme Google glasses, Wave, plus, etc. ?


Evidemment, la première chose à faire pour Google est de faire au mieux pour atténuer les problèmes de connexion. Encore en ce début de décennie, l’accès à une connexion internet rapide est loin d’être un acquis pour tout le monde, et des écarts notables existent entre les pays (la connexion Sud-Coréenne est presque trois fois plus rapide qu’en France) et au sein d’un même pays (moins de 5% des franciliens ont un débit inférieur à 3Mbits/s, contre plus de 20% dans certaines zones rurales comme la Lozère). Pour parer ce genre de problèmes, Google a une idée un peu délirante : le géant de la tech veut se servir de sa maîtrise de l’intelligence artificielle et du machine learning pour essayer de prédire les actions du joueur. S’il est difficile d’estimer si cette parade va fonctionner, elle agite au moins les utilisateurs. Comment, en effet, anticiper leurs actions sans leur enlever la sensation que ce sont eux qui jouent, et pas juste une IA ?



Google doit aussi tâcher de remplir ses promesses en ajoutant le plus de jeux possible parmi les 120 qu’espèrent obtenir les utilisateurs. L’année 2020 devrait remplir ces exigences, lentement mais sûrement : à la liste des quelques géants qui soutiennent déjà Stadia (comme Ubisoft), s’en ajouteront d’autres. Parmi eux, on trouve Square Enix (avec Avengers) ou encore CD Projekt Red (avec Cyberpunk 2077). Au-delà de cela et de l’amélioration sur le plan technique, Google essaie de se démarquer en développant ses propres jeux. Leur premier studio, Stadia Games and Entertainment, a été créé en 2019 à Montréal et commence à produire des jeux uniquement pour la plateforme de streaming. Cela les aidera peut-être à regagner la confiance de leurs utilisateurs et à convaincre d’autres joueurs de basculer sur Stadia.


Comments


bottom of page