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Bride Stories

Bride Stories (Otoyomegatari) de Kaoru Mori, 9 tomes parus en France, série en cours. Le 10ème tome paraîtra le 19 avril prochain.



Note : Il est étonnant de constater que la traduction française a choisi de traduire Otoyomegatari par « Bride Stories » au pluriel alors même que « The Bride’s Story » figurait sur le premier tome dès sa parution au Japon (et a été repris tel quel dans les pays anglo-saxons). Une façon d’insister sur le caractère choral du manga de Kaoru Mori, sans doute, mais qui n’en est pas moins amusante.


La mangaka Kaoru Mori s’était déjà fait un nom avec sa précédente série, Emma, relatant la vie quotidienne (mais un brin romantique) de la belle domestique Emma, travaillant dans l’Angleterre victorienne. Le récit avait notamment été salué pour son travail de documentation historique, qui n’était pour une fois pas sacrifié sur l’autel de la fiction. On imaginait donc bien Kaoru Mori s’attaquer à une nouvelle période historique pour sa prochaine série, mais beaucoup moins qu’elle choisirait l’Asie Centrale et la Perse du milieu du 19ème siècle comme décor. Car qu’on se le dise, en termes de mangas la carte du monde du Japonais comprend l’Asie jusqu’à l’Inde, l’Europe occidentale et les Etats-Unis, et c’est tout. Autant dire que le choix de la mangaka a intrigué, d’autant plus que son histoire serait principalement racontée du point de vue des femmes.


L’intrigue de Bride Stories gravite essentiellement autour du couple formé par Amir, jeune et fougueuse femme venue d’un clan nomade, et Karluk, fils chétif d’un marchand urbain. Le choc des cultures est d’autant plus grand qu’Amir est plus âgée que Karluk, en plus d’être très dégourdie. Mais rapidement de nombreuses autres figures vont se greffer sur ce couple : le clan d’Amir, le jeune explorateur britannique Henry Smith, en plein voyage à travers l’Asie centrale et la Perse, ou encore la timide Pariah, amie d’Amir. Bride Stories prend donc vite l’allure d’un manga polyphonique qui multiplie habilement les points de vue sans fragmenter son récit. Et en 10 tomes (le 10ème est paru au Japon), on peut dire que les fausses notes sont rares, et tous les personnages, en plus d’être attachants de diverses façons, permettent d’évoquer d’autres aspects de la vie en Asie centrale. On découvrira tant la vie d’une femme à marier que celle d’un nomade guerrier et pasteur ou encore celui d’un explorateur britannique. Mais loin d’être des récits parallèles et déconnectés, ceux-ci se croisent et s’entremêlent en permanence, ce qui apporte une véritable densité au récit. On tire aussi notre chapeau au travail de documentation réalisé par la mangaka : il insuffle une vie que l’on ne trouve que rarement dans les mangas ou même dans les récits historiques. Les sociétés de l’époque reposant grandement sur la tradition orale, chaque récit d’apprentissage est une nouvelle occasion de nous faire découvrir une technique de chasse, une façon de tisser ou encore le cérémonial à respecter pendant un mariage.


Le nombre de personnages croisés ne cessera d'augmenter au fil des tomes


A des récits intéressants il faut ajouter une période historique qui est aussi passionnante : bien que les traditions de l’Asie centrale n’aient guère évoluées depuis l’écroulement de l’empire de Tamerlan au quinzième siècle, les personnages de Bride Stories sentent progressivement le vent tourner. La Russie s’intéresse de plus en plus à la région, et ce alors que les explorateurs (des espions ?) se multiplient sur la route de la Soie. Les puissances traditionnelles de la région (la Chine impériale et la Perse), elles, semblent vaciller. Vous l’avez compris, le fameux « Grand Jeu » pour l’Asie Centrale se met progressivement en place. Heureusement Kaoru Mori évite l’écueil du discours lénifiant et ne distille ce contexte historique riche qu’avec modération.


Bien qu'en japonais, la carte résume assez bien le tableau complet des sociétés d'Asie centrale que brosse Kaoru Mori. Kirghiz, Kazakhs, Uzbeks et Tadjiks, la plupart des grandes ethnies de la région sont représentées.


Ces qualités d’écriture ne doivent pas nous faire oublier le dessin, riche de détails et s’épanouissant régulièrement sur une page entière, pour un décrochage de mâchoire garanti. Que ce soit le dessin animal avec notamment des chevaux dégageant une force rare, la minutieuse représentation de l’artisanat de l’époque (travail du bois, tapisserie) ou encore l’attention accordée aux vêtements des personnages, Kaoru Mori frise clairement le sans-faute. Mention spéciale également au travail des deux assistants de la mangaka, chargés de l’encrage, pour de magnifiques résultats.


On pourrait couper les cheveux en quatre en remarquant que cet hyper-réalisme contraste parfois avec le relatif classicisme des visages. Le seul vrai reproche que l’on puisse faire à la mangaka tient au découpage de ses cases, un peu sages lors des scènes d’action (chasse, combat). On a l’impression que les lignes dynamiques sont favorisées au détriment d’un découpage moins orthodoxe. Mais une fois encore rien de dramatique qui ne vienne gâcher l’immersion du lecteur dans cette Asie Centrale du 19ème siècle. D’aucuns crieront peut-être au maniérisme mais les dessins passionnément réalistes de Mori sonnent bien plus comme un superbe hommage à tout un artisanat encore méconnu.


Difficile donc de ne pas recommander chaudement la lecture de Bride Stories : une époque peu traitée mais passionnante, une galerie de personnages variée et un trait superbe sont autant de qualités à mettre à l’actif du manga. Sa capacité à jongler entre différents protagonistes et enjeux permet par ailleurs à la série de garder tout son intérêt après 10 tomes, alors qu’on aurait pu penser qu’il serait difficile de franchir ce cap avec un sujet si inhabituel. Enfin Kaoru Mori parvient à instiller en nous une puissante nostalgie de ces cultures et traditions sur le point de se faire engloutir par une Histoire qui poursuivant sans coup férir sa marche vers la modernité.


9 pains tressés de Pariah sur 10


On n'a pas résisté à l'envie d'en mettre une dernière ;)


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