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4 héroïnes emblématiques à (re)découvrir



Le média du jeu vidéo est depuis longtemps le cœur de cible de certaines critiques féministes. Et, il faut l’admettre, la plupart de ces critiques ont une raison d’être : le jeu vidéo est un milieu traditionnellement masculin, marketé par des hommes, pour des hommes, et parfois avec une maladresse manifeste ou un manque de subtilité assez consternant. Cette tendance séculaire est évidemment injustifiable, et ce d’autant plus au XXIe siècle, qui voit la population de joueuses s’élever à près de 50% de tous les joueurs.


Un des problèmes majeurs que cela pose (parmi tant d’autres), et que le jeu vidéo, en tant que média, au même titre que le cinéma ou la littérature, ne propose que trop peu personnages féminins véritablement inspirants pour les jeunes filles. Du moins, il y a infiniment plus de « role models » pour les garçons. Pire, les seules femmes présentes dans les jeux sont très souvent reléguées au rang de personnages secondaires qui servent uniquement l’histoire du protagoniste masculin (Uncharted, Mass Effect…), ou de damoiselles en détresse (Princesse Peach dans les jeux Mario). Un bon indicateur de cette orientation en termes de genre est simplement le sexe des protagonistes des jeux vidéo. Selon le media Feminist Frequency, 22% des personnages principaux des jeux présents au salon international de l’E3 sont des hommes, contre seulement 5% qui sont des femmes. On constate cependant une récente augmentation du nombre de jeux qui laissent ce choix au joueur (ils constituent l’essentiel des jeux restants, soit une grande majorité).


Telles sont les raisons pour lesquelles il nous faut célébrer ces héroïnes mythiques du média, qui, il faut l’espérer, continueront à inspirer des générations de gameuses et de gamers. Car on ne manque pas d’histoires palpitantes à vivre dans la peau d’une protagoniste.



Samus – la série des Metroïd



Metroïd est une des séries les plus populaires de Nintendo. Le premier volet, sorti en 1986 sur NES, devient vite un des plus grands succès de la console. L’histoire suit le périple de Samus Aran, une chasseuse de primes, dans les dédales claustrophobiques de plusieurs planètes qui recèlent de dangers, de créatures et de mystères. L’ambiance est unique. Il y a ce sentiment latent d’angoisse qui sous-tend toute l’expérience de jeu, une forme de névrose cosmique qui nous prend à mesure que l’on parcourt ces lieux abandonnés.


Mais surtout, et ce sentiment se renforce considérablement en jouant aux autres jeux de la série, on a de l’héroïne une impression de courage et de puissance. Dans les comics qui sortiront plus tard sur elle, on en apprend un peu plus sur son histoire : orpheline à un très jeune âge après avoir vu ses propres parents tués sous ses yeux, Samus Aran est recueillie par une puissante race alien, qui l’entraîne toute sa vie. Avec eux, elle confectionne sa fameuse armure, qui, apprend-on, ne peut être portée sans une immense capacité de concentration. Attention, Samus n’est pas toute-puissante, loin de là. On la sait en permanence livrée à elle-même, seule dans les couloirs semés d’écueils de Brinstar ou Norfair. Mais malgré cela, ignorant les menaces, elle livre un combat acharné aux pirates de l’espace et parvient à elle seule à les démanteler. Luttant, jeu après jeu, contre ses propres démons, elle repousse inlassablement Ridley, la bête immonde qui a tué ses parents. Car Samus n’est pas qu’une tueuse à gage froide et dépourvue d’émotion : dans le premier jeu, elle rencontre un petit alien, qui finira par la suivre dans son aventure et avec qui elle se liera d’amitié.


Fait intéressant, la féminité de Samus n’est pas dévoilée tout au long du jeu. Ce n’est qu’à la fin de celui-ci qu’elle retire son armure, montrant au grand jour dans un moment digne d’Eowyn, que non, elle n’est pas un homme. En 1986, et encore aujourd’hui, Samus Aran reste la preuve qu’on peut avoir une héroïne non objectivée ou sexualisée dans un jeu d’aventure, aux antipodes de Lara Croft de la série Tomb Raider par exemple, et demeure une icône de girl power pour joueurs et joueuses.



Faith Connors – Mirror’s Edge



Quand on pense à des jeux à la première personne, on associe inévitablement des shooters, comme les indécrottables Call of Duty. Mais en 2007, les développeurs de chez DICE, célèbres pour être à l’origine de la série des Battlefield, sortent Mirror’s Edge, un ovni vidéo-ludique qui nous met dans la peau de Faith, une jeune rebelle dans une ville dystopique.


Faith fait partie des « runners », un groupe de résistants qui lutte contre l’oppression du régime totalitaire qui fait loi dans la ville. Leur objectif est de préserver la liberté d’expression en faisant passer des messages par les toits, de sorte qu’ils ne soient pas interceptés par les autorités. Athlétique et caractérielle, Faith est un modèle d’insubordination, et, avant tout, elle est incroyablement badass. En plus de ces capacités de parkour hors normes, Faith sait se battre, et elle n’hésite pas à fracasser des nez ou à taper dans les parties intimes des miliciens pour se frayer un chemin quand la simple course urbaine ne suffit pas.

Ce qui rend ce personnage si emblématique des jeux de la génération Xbox 360 et PS3, c’est qu’elle incarne ses valeurs d’une manière qu’on voit rarement dans un jeu vidéo. Faith, c’est la liberté, c’est l’insubordination, c’est une belle métaphore de l’adolescence et de la construction de l’esprit critique. Ce qui fait d’elle un personnage réussi et inspirant, c’est qu’elle n’est pas que l’écorce d’une héroïne, toutes ses actions sont justifiées par ses valeurs, elle les personnifie. Quel incroyable sentiment d’émancipation lorsqu’on saute gracieusement de toit en toit, lorsque qu’on fait fi des barrières imposées pour trouver notre propre voie à travers la ville ! Quel superbe sentiment d’insurrection lorsqu’on met à bas la milice qui garantit le pouvoir arbitraire dans la ville ! Le personnage de Faith Connors a tout d’une Katniss Everdeen en puissance, et ses récents développements dans la suite de Mirror’s Edge et dans les comics sortis sur elle le démontrent encore une fois.



Chell – Portal 1 & 2



Si vous n’avez jamais joué aux jeux portal, je ne peux que vous encourager à foncer vous les procurer sur Steam. Développés par Valve, ces jeux de puzzle ne sont comme aucun autre. Le personnage principal, Chell, cherche à s’échapper des bâtiments d’Aperture Science, une grande entreprise de recherche qui l’utilise comme cobaye.


Ce qui est très particulier avec Chell, c’est qu’au cours du jeu, elle est anonyme et muette. On ne la voit jamais intentionnellement, son identité n’est jamais révélée. Elle est, en apparence, une page blanche qu’il revient au joueur d’écrire, ou dans laquelle il lui faut se projeter. Comment, dès lors, un personnage aussi désincarné peut-il être un héros ? C’est là qu’intervient la notion de « meta-game », c’est-à-dire les dynamiques qu’un jeu crée parmi sa communauté, au-delà du jeu lui-même. Valve est célèbre pour ses intrigues mystérieuses et complexes : sur Internet, des centaines de fans débattent de la vraisemblance de multiples théories sur l’identité de Chell. Qui sont ses parents ? Quelles sont ses relations avec Aperture Science ? Est-elle-même humaine ?


Pour percer les secrets de Chell, il faut fouiller partout : l’Internet, la documentation, mais aussi le jeu lui-même, qui renferme un nombre limité d’informations. On sait par exemple, en fouillant des dossiers dans un bureau, qu’elle est répertoriée comme étant « exceptionnellement tenace ». On peut aussi en apprendre beaucoup sur elle en écoutant GLaDOS, l’intelligence artificielle créée par Aperture et antagoniste principal des jeux. Par ses répliques cyniques, il montre finalement la résistance de Chell aux moqueries incessantes, et souligne le fait qu’elle n’abandonne jamais. Jamais. Son mutisme serait en réalité dû à sa volonté de ne rien laisser transparaître à GLaDOS.


Chell, héroïne mystique, demeure en quelque sorte un symbole de ténacité que nous pouvons éprouver uniquement en l’incarnant, en en faisant preuve nous-même de cette ténacité au fil des puzzles à difficulté croissante. Elle n’a pas de voix, pas de nom (dans le jeu pour le moins), et pourtant elle est irremplaçable.



Bayonetta



Bayonetta est le personnage éponyme d’une série de jeux « Beat them all » développée par Platinum Games. Cette héroïne badass et provocatrice démolit des légions entières d’anges et d’autres créatures divines tout au long de deux jeux aussi rythmés que jouissifs.


Mais le personnage de Bayonetta fait débat. Depuis toujours. Certains la considèrent comme une icône féministe, pour d’autres c’est une représentation sexualisée et misogyne de la femme dans le jeu vidéo. Le cœur du problème est que Bayonetta est sexy, et se sert de cette carte pour terrasser ses adversaires. Dès lors, deux écoles s’opposent. Est-elle la représentation d’une femme qui assume sa sexualité et sa féminité, et qui dès lors en tire une forme de puissance, ou bien son pouvoir vient-il seulement du fait que les hommes peuvent la trouver désirable ?


Sa représentation ultra-sexualisée peut nous faire tendre vers la deuxième hypothèse. Ses jambes immenses, ses postures suggestives, ses formes généreuses et les « crotch-shots » omniprésents dans les cinématiques peuvent la faire passer pour le fantasme d’un studio quasi-exclusivement masculin. Mais surtout, elle tient son pouvoir de ses cheveux, lesquels se transforment en combinaison moulante la plupart du temps. Mais lorsqu’elle s’en sert pour invoquer des démons, ou lorsqu’elle est en difficultés, son pouvoir s’amenuise, et alors ses « vêtements » doivent… eh bien… disparaître. Pour certains féministes, l’unique intérêt de Bayonetta est de faire fantasmer les jeunes garçons, public cible du jeu, en présentant une femme sexualisée et objectivée.


Cependant, l’hypothèse de l’objectivation de Bayonetta est difficilement justifiable. Avant toute chose, elle apparaît comme un personnage fort, une femme qui sait ce qu’elle fait, en pleine possession de ses moyens, qui a sa volonté propre et qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Ses lignes de dialogue sont pleines de cette confiance en soi qui frôle l’arrogance, et elle brise souvent le quatrième mur pour jouer avec la caméra, pour se mettre en scène et jouer de sa sexualité. L’argument féministe est qu’il y a une différence entre sexualité et sexualisation, et qu’elle se sert de sa sexualité comme d’un atout, que c’est sa force. Par ailleurs, beaucoup de ses combos peuvent se rapporter à des pratiques BDSM de dominatrice (« Même les anges ont besoin d’une bonne fessée de temps en temps » dit-elle en frappant leur derrière à de multiples reprises). Bref, Bayonetta a le contrôle. Et d’aucuns disent même que si un personnage de la série est objectivé, c’est bien Enzo, son acolyte, qu’elle raille et considère comme un imbécile en permanence.


Alors, si elle a été à l’origine de débats houleux, Bayonetta reste la figure d’une femme forte et indiscutablement provocatrice, qui développe une certaine réflexion sur la sexualité. Dans l’exubérance de son environnement, elle est encore plus exubérante, encore plus terriblement absurde. Le grotesque de ses enchaînements, l’impossible de sa confiance dans de telles situations, l’impertinence constante de ses lignes de dialogues dessinent un caractère selon moi unique. Elle est, au même titre qu’un Ezio Auditore ou Nathan Drake, un personnage original et provocateur, qui n’est certes pas un modèle de féminisme pour tout le monde, mais en qui on peut trouver une certaine idée d’empowerment au travers de sa sexualité.


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